contes

Reliquat de poulet 
(texte écrit en m'inspirant de Moitié de Poulet)

 Ben voilà ... tout par un jour, une vieille poule rousse, bientôt à la réforme, sentit qu'elle devait pondre...un dernier œuf.
Elle trouva un coin de paille, à l'abri des regards, dans un coin sombre du poulailler. Elle  fut à peine installée  qu'un œuf tiédasse et relativement mou sortit de son séant.
"Vain dieu, cria la poule, quelle horreur! Qu'ai je donc fait pour mériter une chose pareille?" Sa réflexion n'alla pas plus loin, ce n'était qu'une poule après tout!
Elle couva malgré tout son reliquat quelques heures, quelques jours, un mois... et le 37 ème jour, la paroi molle de l’œuf  se transforma en une bouillie jaunâtre.
"Beurk!" gémit la poule.
 Elle caqueta rapidement, histoire de conclure l'affaire et sortit du poulailler sans prêter plus attention à son rejeton. 
Affamée, elle chercha quelques vers dans la cour de la ferme détrempée par les dernières pluies.
Rapidement elle trouva, gigotant dans une flaque boueuse, une ou deux larves sur le déclin.

Pendant ce temps émergeait de son gruau un drôle de personnage fait tout en moitié: un seul œil, une patte unique munie d'un seul doigt, une aile déplumée et pour couronner le tout un  demi bec.
L'animal réussit tant bien que mal à se hisser de la mare gluante qui le contenait et débaroula sur le sol de terre battue.
Il se cogna si fort la tête que sa moitié de bec se fendit en deux:
"jut alors, cha n'aurait déchà pas chété chimple avec une moichié de bec, mais chalors là, cha che complique!"
Un malheur n'arrivant jamais seul, la pauvre bête se rendit compte que sa patte était prise au travers d'une vieille palette qui servait pour entreposer le foin.
Il tira de toute ses  petites forces sur ce reste de patte folle et déchira la membrane qui recouvrait encore son unique doigt.
"quelle poiche, chalors! " Il observa sa patte et finalement se dit que c'était une bonne opération: il avait maintenant deux espèces de doigts au lieu d'un.

Prenant appui sur la palette, il aperçut entre deux planches vermoulues une faible lumière. Il cligna de l’œil, une fois, deux fois et décida, par curiosité, de se faufiler sous le foin pour en avoir le cœur net.

Cette décision fut fort regrettable pour les quelques plumettes duveteuses qui ornaient encore son aile mais notre poulet était semble t-il courageux et ne fit point cas des pertes occasionnées.

Sous le foin, il découvrit ce qui allait changer sa misérable vie de reliquat de poulet.
Ce qui brillait faiblement il y a quelques minutes, éblouissait maintenant son regard vitreux: un écu! Reliquat de Poulet avait trouvé un écu!! Quelle aubaine!Lui qui commençait si mal son existence. L'excitation fébrile qui s'empara alors de lui fut telle que son corps fut pris de tremblements incontrôlables.
Cette agitation eut pour conséquence de faire voler la poussière de foin et de rendre perceptible... d'autres écus. Reliquat de Poulet n'en croyait pas son œil.
Il se mit à gratter frénétiquement le sol à l'aide de son restant de bec et mit en évidence une dizaine de pièces dorées.
"chochoricho, chochoricho!" cria t-il à plein poumons.

La basse cour, alertée par tant de raffut, accourut.
Reliquat de Poulet se tut: il prit tout à coup conscience que sa trouvaille pouvait attiser la convoitise.

Dans une symphonie de gloussement, la basse cour retourna à son occupation.
Reliquat attendit alors sagement la nuit, et sans trop de bruit, s'extirpa non sans dégâts, de dessous la palette. Il avait pris soin de ranger dans son gosier son éclatante découverte.

En sautillant discrètement hors du poulailler, il heurta un caillou et se ficha par terre. Il ne put retenir les écus qui sortirent un à un de son gosier dans un joyeux tintement.
Le coq, maître des lieux, se mit à chanter, croyant que l'aube était de retour, les poules gloussèrent, le chien aboya et finalement le fermier sortit sur le perron de sa chaumière.
«  Qui va là? » hurla t-il armé de son fusil.
-cheu, chai moi, Chelichat de choulet, murmura le volatile.
Croyant qu'on se moquait de lui, le fermier tira au hasard et Reliquat de Poulet reçut un plomb dans le jarret.
Il pensa qu'il valait mieux se taire s'il ne voulait pas finir troué comme une passoire.
Apaisé, le fermier rentra chez lui et ferma la porte.
Reliquat de Poulet rassembla ses écus et les rangea cette fois dans le trou occasionné par le plomb.
Assez refroidi par cette nouvelle mésaventure, il emprunta le premier chemin à droite de la ferme. Il avait à présent une idée bien moins floue de la tournure que devait prendre son existence. Il envisageait de rejoindre la bourgade la plus proche, de s'y refaire une santé et d'y vivre paisiblement et confortablement en échange des écus récoltés.
Volontaire et hardi, il s'enfonça dans la nuit déjà bien avancée. La contrée qu'il s'apprêtait à traverser était plongée dans un épais brouillard.
Reliquat était bien embêté, son unique œil ne lui était pas d'un grand secours.
« Brouillard, brouillard, aide-moi, che ne chais où aller, retire-toi un inchtant ch'il te plaît, que che puiche me diricher., supplia l'oiseau.
  • Quoi? Que je t'aide, toi la creuille bête? Mais tu n'y penses pas, ôte toi plutôt de mon chemin et laisse moi progresser!
Après cela, le brouillard devint encore plus épais, si épais qu'il plaqua Reliquat de Poulet à terre. Malheureusement, en s'affaissant, un écu tomba de son jarret. Il eut beau chercher, il ne le retrouva point.
« Tant pis! , se dit -il, après tout, je n'en n'ai pas besoin d'autant. Et il reprit son chemin, prenant garde de toujours rester dans l'ornière creusée au fil du temps par les allers et venues des charrettes et autres moyens de locomotion.



Il arriva bientôt près d'un ruisseau. Le traverser ne lui semblait pas insurmontable, alors, il se jeta à l'eau.
Mais Reliquat de Poulet n'avait jamais goûté pareille sensation:
-Eau, eau, aide -moi, tu mouilles, tu me chèles, chors moi de là ch'il te plaît, gémit le poulet.
-Que néni, ricana le ruisseau, qu'ai je faire d'un avorton comme toi? Laisse-moi couler tranquillement et débrouille-toi!
Sur ce, le cours d'eau qui s'écoulait jusqu'à alors paisiblement, se transforma en torrent et sortit de son lit.
Reliquat de Poulet fut emmené et malmené par le courant tonitruant qui le dirigea tout droit contre un arbre avant de se retirer.
La pauvre bête fut bien sonnée. Quand elle reprit ses esprits, ce qu'il en restait tout du moins, son jarret n'était plus qu'un trou béant.
-oh chut alors, gémit Reliquat de poulet, chai encore perdu quelques écus! Tant pis, il m'en rechtera bien achez pour vivre.
Cela n'affecta pas plus l'animal qui poursuivit son chemin.
Reliquat de poulet sautillait maladroitement déjà depuis plus d'une heure et la matinée, même s'il n'en n'avait pas conscience, était bien entamée.
Un souffle d'air frais vint le balayer. Il se retrouva à nouveau par terre, se releva. Cependant le souffle gonfla et c'est une bise bien fraîche qui prit possession des lieux.
Reliquat avait la chair de poule! Il rentra sa moitié de tête dans sa rognure de duvet souffreteux, histoire de se persuader qu'il aurait moins froid.
Encore quelques instants et il n'y tint plus:
-Vent, vent, arrête-toi un moment, aide-moi, ne vois tu pas que ch'ai froid et que ch'ai du mal à progrecher?
-Fi! Fi, souffla le vent, sacrebleu , regardez-moi ce sédiment de poulet!ôte toi de mon chemin et laisse moi souffler en paix! »
La dessus, une rafale emporta Reliquat de Poulet dans les airs et le fit virevolter à en perdre ses derniers écus.
Puis, quand le vent cessa, il plana telle une plume et se retrouva devant le parvis d'une église. Les cloches qui sonnaient la sortie de messe produisaient un drôle d'écho dans sa moitié de tête. Il avait encore perdu un écu.
En titubant, il se faufila par la porte entrouverte de l'église avant que la foule ne sorte.
Les bien pensants du dimanche se tenaient tous à la queue leu leu devant un énorme bénitier. Ils attendaient fébrilement leur tour pour se signer une dernière fois avant de rejoindre l'extérieur.
Reliquat de poulet observait la scène avec respect quand il entendit une petite voix venir du fin fond du bénitier:
-Reliquat, reliquat, aide-moi, s'il te plaît, ne vois tu pas ces bienheureux tremper leurs doigts crasseux dans mon eau claire, ça me répugne! Aide-moi s'il te plaît!

Le poulet se souvint alors du mauvais tour que le ruisseau lui avait joué ce matin là:
-T'aider, moi? L'as-tu fait quand j'avais besoin de toi? Tu peux bien croupir dans ton bassin!
Lorsque l'église fut vide, Reliquat s'approcha du bénitier; une saumure verdâtre croupissait en son fond. Mais il n'y avait pas que cela: deux écus baignaient dedans. Reliquat ne se fit pas prier et les récupéra.
Il sortit à son tour de l'église. Au centre de la place du village, un grand feu était allumé. Jour de fête, on y faisait rôtir le cochon.
Il s'approcha aussi discrètement que possible, n'ayant pas envie, lui aussi de finir sur le bûcher. Soudain: un petit souffle lui murmura à l'oreille:
-Reliquat, reliquat , aide moi, s'il te plaît, regarde ces fumées qui s'échappent de cette rôtisserie, je m'étouffe, je ne peux souffler dans ces conditions! Aide-moi s'il te plaît!
-T'aider? Moi? L'as-tu fait quand ch'avais besoin de toi? Tu peux t'étouffer,che ne lèverai pas le moindre ergot pour toi.
Et le vent s'étouffa, il ne souffla plus. Et l'écu perdu retomba lui aussi... Reliquat le récupéra.
Il profita ensuite du spectacle: le cochon était cuit, un autre était prêt à rôtir, les villageois dansaient au son de l'accordéon et de la vielle. Reliquat piqua même du bec tant il était éprouvé par ses péripéties.
Quand il ouvrit l’œil, la nuit tombait, un léger voile de brume avançait lentement dans le village. La fête battait encore son plein ,des lanternes, des bougies avaient été allumées.
Reliquat se fit surprendre. Quelqu'un l'interpellait:
-Reliquat, aide-moi, s'il te plaît, regarde ces lumières, regarde cette agitation, comment vais-je faire pour imposer mes nappes brumeuses dans ce village?
-T'aider? Moi? L'as tu fait quand ch'avais besoin de toi? Tu peux te dissiper, brouillard, je ne t'aiderai en rien!
Et en se dissipant le brouillard laissa apparaître un écu sur le sol. Reliquat le récupéra.



Depuis ce temps, Reliquat vit grassement en Bresse, il s'est refait une santé.

S.Collet.


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PERNET DES MOQUES

Conte rapporté par Germain Forest dans « Traditions des pays de l’Ain »

Il y avait une fois un Bressan qui s’appelait Pernet des Moques. A cause de cela, quelques personnes s’imaginaient qu’il prenait plaisir à se moquer du monde, bien qu’il n’y songeât jamais et qu’il fût, au contraire, le plus honnête homme du pays.
Or il advint un jour qu’un riche monsieur des environs –on peut être riche en biens et pauvre d’esprit – ayant ouï parler de Pernet des Moques, s’en vint le trouver en grande colère.
- Je voudrais parler à Pernet des Moques, dit-il d’un ton rude en mettant le pied sur le seuil de la chaumière.
- Il est au bois, répondit sa femme.
 - Est-ce loin d’ici ?
- Oh ! tout près, monsieur.
- Montrez-moi le chemin.
Lorsqu’il fut arrivé dans la forêt, il s’approcha du bonhomme, qui était en train de couper un arbre.
- Bonjour, Pernet des Moques, dit-il. Est-ce vrai que vous vous moquez de moi ?
- Oh ! monsieur, jamais je ne me suis moqué de vous et je n’en ai pas même eu la pensée ; mais pourquoi pas, si cela me fait plaisir ! Tenez, puisque vous êtes là, voudriez-vous me rendre un petit service ?
- Lequel ?
- Ce serait d’empoigner ce gros arbre et de le tenir pour l’empêcher de tomber pendant que je m’en irai. J’en ai pour deux minutes.
Le monsieur prit naïvement l’arbre à grand’ brassée et Pernet des Moques s’en alla en riant.
Aussitôt rentré dans sa cahute, Pernet des Moques mit sur le feu une grande marmite de gaudes ; quand elles furent cuites il les porta au milieu de la cour et appela le monsieur de toutes ses forces.
Lorsque celui-ci fut de retour, quel ne fut pas son étonnement de voir Pernet des Moques tourner autour de la marmite fumante en lui donnant de grands coups de fouet !
- Qu’est-ce que vous faites donc là ? s’écria-t-il
- Vous voyez bien, je fais cuire mes gaudes.
- Oh ! Que vous avez une marmite commode ! Voulez-vous me la vendre ?
- Oui
- Combien ?
- Cent écus.
- D’accord ! Voilà cent écus.
De retour dans son château, le monsieur, tout content et fier de son acquisition, fit venir son cuisinier.
- Je vais m’absenter un moment, lui dit-il ; en attendant, tu auras soin de préparer le dîner. Tu vois, cette marmite. Pas besoin de la mettre sur le feu, tu n’auras qu’à lui jeter des coups de fouet en tournant autour et la viande y cuira à merveille.
Le cuisinier obéit ; mais ensuite il eut beau tourner autour de la merveilleuse marmite, il eut beau la fouetter que fouetteras-tu, la viande n’y cuisait pas plus que dans mon sabot. Il usa d’abord la mèche, puis le fouet tout entier y passa, et la viande était aussi crue qu’en sortant de chez le boucher.
Lorsque le monsieur, en rentrant, vit cela, il comprit qu’il avait été trompé. Il entra de nouveau dans une violente colère et s’en revint trouver Pernet des Moques.
Pernet des Moques se méfiait du coup et il avait pris ses dispositions en conséquence. Voici, le malin, ce qu’il avait imaginé : il avait prié le boucher de lui garder deux litres de sang ; il avait introduit ce sang dans deux petites gonfles de cochon qu’il avait ensuite attachées au cou de sa femme et de sa fille.
Et lorsque le monsieur arriva tout prêt à se fâcher, celui qui paraissait le plus furieux de deux c’était Pernet des Moques. Muni d’un long poignard et grinçant des dents, il aurait bien fait sauver le diable. Dans un accès de rage, il sauta sur sa femme et sa fille et les égorgea toutes les deux. Elles tombèrent sur le sol perdant du sang en abondance.
Le monsieur voulut se sauver, mais Pernet des Moques le retint.
- Rassurez-vous, lui dit-il, je ne veux point vous faire de mal. Quant à ma femme et ma fille, vous allez voir, j’ai là un petit instrument avec lequel je vais en un clin d’œil les rappeler à la vie.
Ce disant, Pernet des Moques tira un petit sifflet de sa poche, le porta à sa bouche d’un air joyeux et se mit à siffler.
A ce son magique, les deux femmes eurent l’air de sortir d’un rêve. On les vit remuer un bras, puis une jambe, puis se lever, ouvrir les yeux et, une fois réveillées en plein, sauter au cou de Pernet des Moques et l’embrasser.
- Oh ! s’écria le monsieur émerveillé, vous avez là un sifflet qui est bien commode ; il réveille les morts.
- Oui, il les ressuscite.
- Voulez-vous me le vendre ?
- Oui.
- Combien ?
- Cent écus.
- Les voilà !
Arrivé chez lui, le monsieur n’eut rien de plus pressé que de se servir de son précieux sifflet. Il sauta sur sa femme et l’égorgea, puis il voulut la ramener à la vie. Mais il eut beau siffler que siffleras-tu, la pauvre créature du bon Dieu ne bougea plus, elle était passée de vie à trépas.
Cette fois, malgré sa douleur, le monsieur entra dans une colère cent fois plus épouvantable. Il comprit qu’il avait été, à diverses reprises, indignement trompé par Pernet des Moques et il résolut de se venger d’une manière terrible.
Il retourna chez le Bressan, l’empoigna vivement, le fourra dans un sac et l’emporta chez lui. Là, il commanda à son cocher d’atteler un cheval, jeta dans sa voiture notre pauvre Pernet des Moques et, au grand galop, le mena noyer.
Mais c’était un dimanche et, comme ils passaient devant une église, le cocher dit :
- Si on s’arrêtait un moment pour assister à la messe ?...
Le monsieur, malgré la soif de vengeance qui le tourmentait, n’osa pas dire non, et ils entrèrent dans l’église.
Pendant ce temps-là, Pernet des Moques se lamentait dans son sac en se débattant pour en sortir.
Passe un mendiant qui s’arrête et dit :
- Qui est-ce qui est là-dedans ?
- C’est moi, Pernet des Moques, répond le Bressan. Voulez-vous prendre ma place ?
- Pourquoi pas !
Et le pauvre délia le sac et en fit sortir Pernet des Moques. On dit bien qu’il entra lui-même dans le sac mais ce n’est pas bien sûr. Je crois plutôt qu’il n’y mit que son paquet de guenilles avec une ételle ou deux.
Toujours est-il que Pernet des Moques en était dehors. Vous pensez s’il était content! Sans perdre une minute, il courut au château du monsieur, s’empara de son plus beau cheval et de sa plus belle voiture et partit à l’endroit où on voulait le noyer.
Il y arriva juste au moment où le monsieur venait de jeter le sac dans la rivière. Il fit clic clac avec son fouet et s’approcha. Le monsieur ne pouvait en croire ses yeux.
- Comment, dit-il, vous êtes là ! Où avez-vous donc trouvé ce beau cheval et cette belle voiture ?
- Dans l’eau, Monsieur !
- Bien vrai ?
- Certainement ! Et il est même encore resté un cheval et une voiture tout pareils au fond de la rivière! Tenez, regardez-les!
- C’est vrai, dit le monsieur, en ne se rendant pas compte que l’eau faisait miroir et que c’était l’image du cheval et de la voiture dérobés par Pernet des Moques qui s’y reflétait.
Alors, sans plus de réflexion,mon imbécile se jeta lui-même dans la rivière pour aller quérir le cheval et la voiture qu’il apercevait. Mais il fit un si fort plongeon qu’on ne le vit point reparaître à la surface des flots.
Ma foi, moi je l’ai laissé courir et je me suis en venu.




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LE JOUEUR DE VIELLE DU PARADIS

Conte rapporté par Germain Forest dans « Traditions des pays de l’Ain ». Ed. Curandera, 1990.

Il y avait autrefois à Polliat, un vieux paysan qui s’appelait Pipette.
Le père Pipette était si pauvre, si pauvre qu’il n’était pas possible de l’être davantage.
Comment d’ailleurs eût-il pu être riche ? Il s’était mis en ménage avec rien, sa jeune femme ne possédait aussi que sa chemise et son cotillon et ensuite le Bon Dieu leur avait envoyé dix-huit enfants en moins de quinze ans ! Dix-huit enfants qui ma foi, avaient des dents jusqu’au fond du gosier et auxquels il fallait tous les jours de pleines marmites de gaudes et d’énormes piles de gaufres de blé noir.
Le père Pipette avait, il est vrai, deux bons bras ; mais son métier de journalier ne lui rapportait guère que quinze ou vingt sous par jour et ce n’est pas toujours qu’il trouvait des journées à faire, car les gens du pays n’avaient pas constamment du blé à moissonner, du foin à faucher, du maïs à sarcler, du bois à couper et à fagoter.
Durant des semaines entières le père Pipette ne gagnait pas un liard, ce n’est peut-être pas le mot ; si la faim fait, comme on dit sortir le loup du bois, elle rend aussi l’homme actif et ingénieux. Le père Pipette, pour donner la becquée à toute sa nichée, bricolait toujours et se créait des ressources de mille façons. Il confectionnait des cages, des filoches, des troubles* ; il rempaillait des vieilles chaises, prenait des taupes dans les prairies, ramassait de bouses le long des chemins ou du bois mort dans les rippes et les buissons. Et surtout, j’oubliais de vous le dire, le père Pipette était ménétrier : il jouait très bien de la vielle et gagnait ainsi quelques sous en assistant aux noces et aux vogues du voisinage ou en courant aux ébaudes avec les magnats.
Néanmoins le pauvre homme avait beau faire, il restait plongé dans la misère jusqu’au cou.
Un jour, au cœur de l’hiver, sa femme se mit à pleurer parce qu’elle n’avait plus un sou pour acheter des sabots à ses enfants et plus même une assiettée de farine de maïs pour leur faire des gaudes.
Alors, le cœur serré et la tête basse, honteux comme quelqu’un qui commet une mauvaise action, le père Pipette prit un grand panier cabas qu’il avait tressé lui-même avec des osiers et s’en fut demander l’aumône de porte en porte.
Tout à coup, au milieu des bois de Saint Martin, il se trouva en présence d’un vieillard à longue barbe blanche:
- Pipette, dit-il, je connais ta détresse, je sais que ta femme et tes enfants sont sans nourriture et sans vêtements… Veux-tu que rien ne leur manque ? Veux-tu être riche ? Je peux t’en donner le moyen. Tu vois ce que je tiens à la main. C’est un sac, mais un sac merveilleux, doué d’un pouvoir extraordinaire. Désire-t-on une chose, n’importe laquelle ? Il suffit de dire : « Que cette chose soit dans mon sac ! » et aussitôt elle y est, on peut la prendre et s’en servir. Eh bien ! Pipette, je te donne à choisir entre ce sac et le paradis. Réfléchis bien, mon ami : Si tu prends l’un, tu n’auras pas l’autre.
- C’est bien tout réfléchi, s’écria vivement le père Pipette. Pendant que je suis vivant, je n’ai pas besoin du paradis, j’aime mieux le sac.
- Et après aussi ?
- Après, ma foi, on verra bien.
- Alors, tu veux le sac ?
- Hé ! pardi, bien sûr !
Et ce disant, il prit le sac qu'on lui offrait et il s’en retourna tout joyeux dans sa chaumine.
A partir de ce moment, il vécut avec sa famille dans la plus grande opulence et ne se priva de rien. Miches, brioches, matefaims, gaufres de froment, tartes et gâteaux, fruits de toutes sortes, rien ne manquait sur la table. Voulait-il du poisson, de ce bon poisson de la Veyle et de l’Irance dont les pêcheurs à la ligne de Bourg sont si friands, il disait : « Perches, brochets, rousses, chevesnes, soyez dans mon sac ! » et aussitôt ils s’y trouvaient…
* Trouble : sorte de filet pour la pêche

On raconte qu’une fois, étant en promenade dans une forêt, il aperçut une petite cabane habitée par un chasseur. Celui-ci lui dit : « Voulez-vous venir à la chasse avec moi ? » - « Volontiers ! » répondit le père Pipette. Alors le chasseur, usant de ruse, lui donna un petit fusil pour faire peur aux lièvres et il en garda lui-même un gros pour les tuer. Mais le père Pipette n’était pas bête. Dès qu’il apercevait un lièvre, au lieu de se donner la peine de tirer un coup de fusil, il se contentait de dire : « Que ce lièvre soit dans mon sac ! » Si bien qu’à la fin de la journée son sac était bourré de gibier tandis que son compagnon, avec toute sa malice, fut obligé de s’en retourner bredouille…

Et, qu’il s’agit de beaux habits, de bijoux ou de louis d’or, il en était toujours de même. Dès que le père Pipette désirait une chose pour lui, pour sa femme ou ses enfants, il l’avait, grâce au sac merveilleux.

Ses jours s’écoulèrent ainsi paisiblement et agréablement dans le bien-être et cette existence calme et douce lui permit de devenir très vieux.
S’il lui arrivait parfois de s’ennuyer un peu, il reprenait sa vielle, et les sons de cet instrument, qui lui rappelaient les bons et les mauvais jours d’autrefois, le berçaient mollement et voluptueusement, l’endormaient à demi, le plongeaient dans un rêve, une sorte de béatitude délicieuse.
Enfin, devenu très vieux et se sentant près de sa fin, il dit à sa femme :
- Je vais bientôt vous quitter. Je suis bien heureux de savoir qu’après moi vous ne manquerez de rien : je mourrai content à cause de ça ! Mais moi, que vais-je devenir dans l’autre monde ?.. Tiens, si tu voulais me faire plaisir…
- Eh bien ?
- Eh bien, tu mettrais mon sac et ma vielle à côté de moi dans mon cercueil. J’ai vécu si longtemps entre deux objets, ils m’ont fait une existence si douce et si agréable que ça me serait trop dur de m’en séparer. Et ils pourraient quelquefois m’être utiles de l’autre côté… Fais-moi, je t’en prie, la promesse de me les donner…
- Sois tranquille, dit sa femme, on te les donnera, je te le promets.
Ce qui fut dit fut fait. Le père Pipette mort, on l’envoya dans l’autre monde entre son sac et sa vielle.
Voici notre Bressan en route, cheminant au hasard dans les pays inconnus de l’Eternité et ne sachant trop où il dirigeait ses pas. Cependant, après avoir parcouru des lieues et des lieues, il aperçut brusquement le paradis.
« Tiens se dit-il, si j’essayais d’entrer tout de même ! » Et sans plus de réflexion il frappa à la porte.
- Qui est là ? dit saint Pierre avant de tirer de verrou.
- C’est moi, Pipette…
- Comment dis-tu ?
- Pipette…
- Ah ! Pipette… Voyons que je consulte mon grand registre… P… Pa… Pi… Pipe… Pipelet… Pipette… Pipette, de Polliat, n’est-ce pas ?
- Oui.
- Comment, c’est toi, pendard ! Tu viens demander une place au paradis ! Tu oublies donc qu’autrefois tu as mieux aimé le sac… Tant pis pour toi ! Comme on fait son lit, on se couche… Tu n’as point de place ici, va-t-en au purgatoire ou en enfer.
Les jambes brisées, le cœur défaillant, il se laissa choir sur une borne pour se reposer une minute et, machinalement il saisit sa vielle et se mit à jouer pour se distraire et calmer sa douleur.
Alors, mes amis, il se fit un beau tapage dans le paradis ! Les saints et les saintes, les anges et les archanges, tous les bienheureux tendirent les oreilles un instant, puis ils dirent : « Qu’est-ce que c’est ? » Et enfin ils se précipitèrent tous vers la grande porte en se bousculant les uns les autres.
Pensez donc ! Un joueur de vielle, ça ne présente pas tous les jours à la porte du paradis !
« Nous voulons voir ! Nous voulons voir ! » criaient-ils tous à la fois. Saint-pierre, qui était aussi curieux que les autres, se dit : « Après tout, il n’y a pas grand danger à ce que j’entrebâille la porte… »
Il tira alors le verrou, la porte du paradis grinça sur ses gonds rouillés, et sous la poussée formidable de curieux elle s’ouvrit toute grande…
« Oh ! Le bel instrument ! s’exclamaient les saints. Oh ! les jolis sons ! Oh ! l’habile musicien ! C’est un joueur de vielle bressan, dit saint Martin qui était venu jadis dans notre pays. - Hé ! Joueur de vielle, répétèrent les autres, approchez donc qu’on vous entende mieux, venez bien près, bien près… »
Le père Pipette ne se fait pas prier, il s’approche et, plus malin qu’on ne pense, au moment où tous les habitants du ciel l’écoutaient bouche bée, il jette vivement son sac dans le paradis et s’écrie : « Que je sois dans mon sac ! » Et il y est aussitôt.
Attiré par le tumulte, le bon Dieu apparaît juste sur ces entrefaites.
Qu’est-ce qui se passe donc ? dit-il. Ah ! C’est le père Pipette qui est dans le paradis… Comment, Saint Pierre, tu l’as fait entrer ?...
- Hélas, Seigneur, nous avons entendu au dehors une musique si belle et si étrange que j’ai un peu entre-bâillé la porte pour voir le musicien. Et voilà…
- Oui, voilà ! Tu as fait de la belle besogne !
- Seigneur ! Seigneur ! crièrent tous ensemble les anges et les saints, votre bonté est infinie. Pardonnez à saint Pierre et laissez-nous ce vieux musicien bressan. Il n’y a point de joueur de vielle au paradis, Seigneur. Nous serions contents d’avoir le père Pipette avec nous, il joue si bien !...
Eh bien, alors, mes enfants, si vous y tenez tant, dit le bon Dieu, gardez-le. Après tout, le père Pipette a si bien su se servir de son sac que je manquerais de bonté en le chassant d’ici. Restez donc avec nous, père Pipette, vous serez le joueur de vielle du paradis.
Et voilà comment le Père Pipette, après avoir choisi le sac merveilleux, eut encore une place au paradis par dessus le marché.

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LE RICHE ET SON FERMIER

Conte rapporté par Germain Forest dans « Traditions des pays de l’Ain ». Ed. Curandera, 1990

Un jour, un pauvre fermier avait conduit sa vache Motâla dans les terres de son propriétaire. Celui-ci l’aperçut.
- Si vous ramenez votre vache dans mes chaintres, lui dit-il, je la tue.
- Oh ! Vous n’oseriez pas, notre maître.
- je n’oserais pas ! Ramenez-la donc, vous verrez…
Le soir en rentrant, le fermier dit à sa femme :
- le maître m’a dit que si je ramenais notre vache dans ses chaintres, il la tuerait.
- Oh ! que non, il ne ferait pas chose pareille.
Tranquillisé par ces simples paroles de sa femme, le brave homme reconduisit sa vache dès le lendemain, dans le champ de son maître. Et celui-ci mit sa menace à exécution.
Le fermier, tout désolé, s’en retourna les larmes aux yeux.
- Ma pauvre femme, s’écria-t-il, le maître a tué notre bonne Motâla, qu’allons-nous faire ?
Le mari et la femme se lamentèrent pendant un bon moment. Enfin, la réflexion ayant fait place aux larmes, ils résolurent de vendre la peau pour en tirer quelque argent.
L’homme la chargea sur son épaule, empoigna son bâton et s’en fut à la ville voisine.
Il avait un grand bois à traverser et la nuit l’ayant pris en route, il grimpa sur une tronche pour s’y reposer un peu à l’abri des bêtes féroces. Comme il s’était à demi assoupi entre deux grosses branches, il fut tout à coup réveillé par une troupe de voleurs groupés en cercle au pied de l’arbre et occupés à compter leur argent.
- Si je les effrayais ? se dit-il.
Et aussitôt il jeta la peau de sa vache sur les brigands.
Ceux-ci crurent que c’était le diable qui tombait au milieu d’eux. Ils furent tellement saisis de frayeur qu’ils prirent la poudre d’escampette et se sauvèrent bien loin, laissant sur place le trésor qu’ils avaient dérobé.
Le fermier n’eut qu’à descendre pour s’en emparer.
Quand il fut rentré chez lui, il envoya sa petite fille chercher la balance de son maître.
- Tu lui diras, ajouta-t-il que c’est pour peser l’argent que la peau de ma vache a rapporté.
La petite courut chez le propriétaire.
- Bonjour, notre maître.
- Bonjour, ma mie.
- Je m’en viens chercher votre balance pour peser l’argent que la peau de la vache a fait.
- Elle en a donc bien fait !
- Oh ! bien oui, si vous voyiez ce tas de louis d’or et d’écus de cinq francs !
Le propriétaire, plus curieux encore qu’incrédule, se précipita chez son fermier.
- Que d’argent ! que d’argent ! s’écria-t-il quand il fut en présence du trésor.
- Pensez donc, dit le fermier, j’ai porté la peau de notre Motâla à la foire et je l’ai vendue 5 francs le poil.
- Alors, reprit le maître, je vais aussi tuer mes vaches, moi, et j’en porterai vendre la peau.
- Ma foi, notre maître, je crois que vous ferez bien.
Le propriétaire tua ses vaches comme il l’avait dit, mais ayant porté les peaux à la foire, on ne lui en offrit pas un sou vaillant. Il s’en revint de fort mauvaise humeur, décidé à punir son fermier de lui avoir fait tuer ses vaches.
Il le fit enterrer jusqu’au cou en lui laissant une main au-dessus du sol pour demander pardon.
Le pauvre diable était depuis un moment dans cette triste posture quand un loup vint à passer à portée de sa main. Il lui saisit vivement la queue, le loup effrayé tira aussitôt de toutes ses forces pour se sauver, tant et si bien qu’il arracha le fermier. Celui-ci emmena ensuite le loup avec lui pour lui témoigner sa reconnaissance.
- Je te traiterai bien, lui dit-il, tu auras des moutons à manger tant que tu voudras.
Dès le lendemain, il se rendit chez son maître.
- Tiens, te voilà ! s’écria celui-ci.
- Oui, notre maître.
- Comment as-tu fait pour te sortir de terre ?
- C’est mon mouton qui m’a arraché : il est fort comme un bœuf. Si vous voulez que j’emmène les vôtres pendant quelques semaines, je les mettrai avec le mien et ils seront bien vite aussi gros et aussi forts que lui.
A quelques temps de là, le maître s’en fut quérir ses moutons ; mais il n’y en  avait plus, le loup les avait tous mangés.
- Brigand que tu es, tu me les paieras, dit-il à son fermier.
Il appela ses domestiques et leur fit mettre le pauvre homme dans un sac pour le porter noyer dans un étang.
Chemin faisant, les domestiques s’arrêtèrent dans une auberge pour boire chopine et ils laissèrent leur fardeau à la porte. Le pauvre fermier gémissait dans son sac quand un monsieur vint à passer.
- Pourquoi vous lamentez-vous ainsi ? Lui dit ce dernier.
- Hélas, répondit le fermier, on veut me mener dans un château pour me faire épouser une belle jeune fille malgré moi.
- Voulez-vous me donner votre place ?
- Oh ! avec plaisir ! Mais ne pourrais-je avoir une petite récompense ?
- Bien volontiers !
Et le monsieur laissa sa bourse au fermier et se mit dans le sac à sa place.
Le lendemain, le fermier se rendit à la ville voisine où il rencontra son maître sur le champ de foire. C’est celui-ci qui fut surpris.
- Vous ici ! lui dit-il.
- Oui, je suis venu acheter une paire de bœufs.
Et en même temps le fermier faisait sonner les écus qu’il avait dans sa bourse.
- Où avez-vous trouvé cet argent ?
- Au fond de l’étang, pardi !
-Bah !
- Oui, et je suis resté au bord. Si j’avais été plus loin, j’aurais trouvé de l’or !
Le maître s’en alla bien vite et dit à ses domestiques :
- Mettez-moi dans un sac et vous me jetterez dans l’étang.
Les domestiques obéirent comme des nigauds qu’ils étaient. Et l’imbécile, il faut le croire, se chargea tellement de pièces d’or qu’il ne put pas remonter à la surface de l’eau.

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JEAN-BÊTIOT

Conte rapporté par Claude Seignole dans « Contes, récits et légendes des pays de France… »
- 0mnibus, 1997

Il y avait une fois en pays de Bresse un garçon si bête que les gens l’appelaient Jean-Bêtiot.
Un jour, sa mère l’envoie à la foire pour acheter un cochon. Jean-Bêtiot choisit un porc au hasard et paye, puis il montre le chemin du village à l’animal :
- Maintenant, tu es à moi, lui dit-il. Va chez nous, c’est tout droit.
Jean-Bêtiot fait un tour en ville, puis il rentre à la maison.
- Où est le cochon ? lui dit sa mère.
Jean-Bêtiot lui explique ce qu’il a fait.
- Mon pauvre garçon, il fallait l’attacher par une patte et ne pas lâcher la corde. Et si l’animal voulait s’arrêter, taper dessus avec un bâton pour le faire avancer.
- Bon, une autre fois, je le saurai..
Le lendemain, sa mère l’envoie acheter une marmite. Jean-Bêtiot attache une corde à un pied de la marmite et la traîne en se retournant souvent pour voir si elle suit. Il n’a pas fait bien du chemin quand la marmite heurte une pierre et se casse en trois ou quatre morceaux, et le pied reste seul attaché. Comme les tessons ne veulent pas suivre, Jean-Bêtiot prend son bâton, tape dessus et les réduit en petits grains qui disparaissent dans la poussière. Quand il arrive à la maison avec le pied de la marmite au bout de la corde, sa mère lui dit :
- Où est la marmite ?
- J’ai fait ce que tu m’avais dit, mais elle n’a pas voulu suivre toute entière.
- Mon pauvre garçon, il fallait la fixer sur ton dos et venir tout doucement en évitant de la heurter.
- Bon, une autre fois, je le saurai.
Le lendemain, sa mère l’envoie au marché pour y acheter une motte de beurre. Jean-Bêtiot met la motte sur son dos et, au retour, il se tient au milieu de la route pour éviter les tas de pierres. Mais il fait un beau soleil, le beurre se ramollit et coule dans le dos de Jean-Bêtiot. Quand il arrive à la maison, sa mère lui dit :
- Où est le beurre ?
Jean-Bêtiot lui montre son dos.
- Mon pauvre garçon, il fallait le mettre dans un sac pour l’abriter du soleil et le rafraîchir dans l’eau, de temps en temps, pour le tenir bien ferme.
- Bon, une autre fois je le saurai.
Le lendemain, sa mère l’envoie chercher un pain de sucre. Jean-Bêtiot met le sucre dans un sac, et, à la première mare qu’il voit, il s’arrête et le trempe bien dans l’eau, puis il fait de même à la seconde, à la troisième, et il recommence le long de la rivière. Et il se félicite de bien suivre les conseils de sa mère car après chaque trempette le sac lui parait bien moins lourd.
- Où est le sucre ? Lui dit sa mère.
Jean-Bêtiot ouvre son sac où il ne reste plus rien.
- Mon pauvre garçon, il fallait simplement ficeler ton pain de sucre et le porter par la ficelle.
- Bon, une autre fois, je le saurai.
Et le lendemain, Jean-Bêtiot va chercher de la pâte qu’il entoure de ficelle et la pâte s’en va ; et sa mère lui dit qu’il aurait fallu déposer la pâte dans une corbeille sur sa tête. Et le lendemain, Jean-Bêtiot va chercher de la plume qu’il met dans une corbeille qu’il place ensuite sur sa tête, et la plume s’envole au vent ; et sa mère lui dit qu’il aurait fallu mettre une grosse pierre sur la plume.
Et le lendemain, Jean-Bêtiot va chercher des œufs, et vous devinez ce que le garçon a fait…
Mais je suis obligé d’arrêter mon histoire, car j’ai du travail, et si je voulais vous raconter toutes les sottises de Jean-Bêtiot :
J’aurais l’ temps d’aller jusqu’à Paris
Avant qu’mon conte i’ soit fini.


L’ŒUF DE COQ
Ou
Coqdrille
Ou
Cocadrille

Une très ancienne croyance rapportée par Germain FOREST dans « Traditions des pays de l’Ain » ou plus récemment par Alain LEQUIEN dans « Les mystères de l’Ain ». Ed. De borée, 2012.

« Quand une de nos fermières trouve dans le nid de ses poules un œuf de petite taille, affectant parfois une forme très allongée, elle est persuadée que c’est un coq qui l’a pondu et elle se garde bien de le faire couver, dans la crainte de voir éclore un serpent au lieu d’un poussin. Telle est, dans sa forme simple, la légende de l’œuf de coq, car les variantes compliquées sont fort nombreuses et je ne veux mentionner , comme spécimen du genre que celle dite du « Coqdrille ».
Donc, les vieilles gens de la Bresse croient non seulement que les coqs font des œufs, mais que, si ces œufs sont couvés, il en sort un animal fabuleux qui a été affublé du vocable pittoresque de « Coqdrille ». Cette bête étrange, qui doit descendre de la bête du Gévaudan, serait douée, s’il faut en croire certains campagnards, des pouvoirs les plus néfastes. Malheur au toit sous lequel elle verra le jour : la fermière se cassera la jambe ou le chef de famille mourra dans l’année, ou bien encore l’incendie détruira la ferme. C’est donc afin de prévenir ces différents maléfices que les fermières se débarrassent de ce qu’elles croient être des œufs de coq en les jetant dans une mare ou en les donnant à manger au chien de la maison.
… »
(Extrait de Germain Forest)



« Dans le Revermont, le cocadrille devient un mot féminin. On prétendait que si, par malheur, on ne trouvait pas l’œuf du coq,  la cocadrille naîtrait et irait se cacher sous les escaliers. Aussi tant qu’il (l’oeuf) n’avait pas été trouvé et détruit, tous les maîtres de la maison mouraient de la présence de la bête malfaisante.
… »
(Extrait de Alain Lequien)

NB : Dans un récit de Paul Carru, il est fait mention du fait suivant :
L’auteur ayant demandé qu’on lui apporte des œufs de coq, rapporte que M. Parant, pharmacien, lui remit un des ces œufs que lui avait apporté un paysan de Viriat. Cet œuf avait la forme d’une saucisse d’environ 8 centimètres de long. Il ne contenait que du blanc.










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